Patreon et Tipeee, de la mendicité à l’ubérisation participative


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  • Tipeee et Patreon vous font miroiter le financement participatif, mais au final, c'est juste de la mendicité et une meilleure acceptation de l'ubérisation dans la mesure où tu accepte de donner une création, pure et artistique, pour quelques centimes.


    Patreon et Tipeee aident financièrement les créateurs en apparence. Mais ce n'est qu'une enième manifestation de l'ubérisation avec une mendicité 2.0.

    Tipeee et Patreon sont-ils des attrape-nigauds pour les petits créateurs  ? Vous avez sans doute vu des chanteurs dans la rue. Ils sont souvent en loques et ils peuvent jouer pendant des heures en espérant que leur gamelle ou leur chapeau se remplissent de piécettes.

    Des piécettes sur Tipeee et Patreon

    Aujourd’hui, tous les créateurs du web, optant pour du financement participatif, tel que Tipeee et Patreon, sont devenu des chanteurs de rue. Je suis tombé sur cet article qui explique que 98 % des utilisateurs de Patreon gagnent à peine quelques dollars par mois. L’article utilise les données de Graphtreon qui montre les montants publics gagnés par les créateurs. Les données sont ce qu’elles sont, car il y a des créateurs qui ne montrent pas leurs montants. Ainsi, on découvre que :

    • Seuls 1393 créateurs gagnent 7,65 dollars par heure (qui est le salaire minimum dans certains Etats Americains)
    • Etant donné que certains Etats US ont augmenté le salaire minimum à 15 dollars de l’heure, alors il n’y a que 0,8 % des créateurs qui y arrivent.
    • Pour novembre 2017, sur un total de 14 698 créateurs, on a :
      • 3 000 dollars par mois qui sont allé à 448 créateurs
      • 1 000 dollars par mois qui sont allé à 1 419 créateurs
      • 300 dollars par mois qui sont allé à à 4 348 créateurs
      • 100 dollars par mois qui sont allé à 8 483 créateurs

    C’est bien de gagner le SMIC, mais est-ce qu’on est devenu tellement peu ambitieux ou tellement con qu’on confond le salaire minimum avec un salaire décent. Le salaire minimum te donne juste de quoi vivre, mais pour fonder une famille, avoir quelques vacances et bien te soigner, qu’est-ce qu’il faut faire ?

    Proche d’une arnaque pyramidale

    Patreon et Tipeee ont la même mécanique et pour moi, cela ressemble de plus en plus à une arnaque pyramidale. En tout cas, il y a une structure pyramidale où les plus gros vont forcément gagner des milliers de dollars alors qu’ils n’en ont pas besoin. Ben oui, si t’as déjà 1 million d’abonnés sur Youtube et que tu te fais déjà des couilles en or avec tes ventes de livre ou de jeux de société à la con, pourquoi passer sur Tipeee ou Patreon sinon pour grapiller quelques dollars de plus. Faudrait e-penser.

    Patreon et Tipeee aident financièrement les créateurs en apparence. Mais ce n'est qu'une enième manifestation de l'ubérisation avec une mendicité 2.0.

    Mais Patreon n’a aucun problème pour glorifer la mendicité subie par ses créateurs. En 2016, le site disait fièrement que près de 7 000 créateurs gagnent 100 dollars par mois.Si on compte 160 heures à raison de 40 heures par semaine, alors Patreon glorifie des salaires mensuels équivalents à ce qu’on gagne au Vietnam, au Pakistan, en Arménie ou en Angola.

    Patreon célèbre les salaires de misère

    Mais ce que l’article montre est que le travail que vous fournissez, via Patreon ou Tipeee, est le double ou triple de ce que vous faites d’habitude. Il faut batir sa communauté, attirer des abonnés, faire de la promotion exclusive, créer des contenus spéciaux pour les donateurs. Le problème est que cela va à l’encontre de l’objectif même de ces plateformes. On n’est pas sur Kickstarter ou Leetchi où tu veux financer une idée. Non ici, tu as déjà crée ton contenu pendant des années et ton lectorat veut simplement te récompenser pour ce qui a déjà été fait.

    Si tu commence à créer uniquement pour Patreon ou Tipeee, déjà ta communauté globale va se barrer en grimaçant et tu va te retrouver dans une spirale infernale où tu auras les mêmes contraintes qu’avec la publicité. Si tu ne plait plus aux annonceurs, ils t’enculent. Si tu ne plais plus aux donateurs, ils t’enculent.

    Tipeee et Patreon sont chronophages

    Imagine que t’es un blogueur ou un illustrateur, tu te lance sur Tipeee ou Patreon. Dès que tu as assez de revenus, tu va te concentrer exclusivement sur tes donateurs. C’est automatique, car tu estime qu’ils ont droit à quelque chose de plus,mais n’oublie pas que c’est juste quelques dollars. Tu va donner des dessins en exclu, ensuite, tu va leur demander leur avis sur tout, et sans t’en rendre compte, tu va être enfermé dans une bulle avec une centaine de péquenots qui te donnent un dollar par mois, merde.

    Et il y a une pente glissante aussi douce qu’une sodomie avec vaseline. L’ubérisation de tes créations. Tu fais une superbe création qui t’a pris des semaines et en échange, on te donne 1 ou 2 euros. Est-ce que ça les vaut ? Si une planche de dessin vaut 50 euros, cela signifie que tu pense que le donateur va donner 1 dollars pendant 50 mois et c’est ensuite que tu te sera correctement rénuméré. A force de mendier en ligne, on esclavagise son propre contenu qui n’a plus aucune valeur marchande.

    La baisse de la valeur de votre travail

    Sur le mois en comptant un certain nombre de créateurs, tu sera ravi d’avoir la centaine d’euros sur ton compte, mais tes créations, tu les a vendu pour une bouchée de pain rassis.

    Petit à petit, tous les métiers sont s’ubériser par cette méthode et n’oublions jamais que le néo-libéralisme veut supprimer tout valeur avec ton outil de production (oui, je lis Marx ces derniers temps). Tipeee et Patreon sont dans l’arnaque pyramidale, car dans cette dernière, la clé de voute est de mettre constamment les plus gros créateurs en avant.

    Regardez, il gagne 5 000 euros par mois, pourquoi pas vous. Et tu te laisse happer. Mais tu ne pige pas que ces gros créateurs sont déjà riches par définition, car ils sont au sommet de la pyramide, et quel que soit leur méthode de monétisation, ils vont toujours gagner plus. Leur succès ne signifie pas que Tipeee ou Patreon fonctionne, car ils réussiront partout à cause de leur communauté. On inverse la cause et l’effet.

    Des commissions qui remplissent leurs poches

    Et pour Patreon, ça roule plutôt bien. Ces derniers mois, il a collecté 60 millions de dollars en investissement direct en portant à plus de 100 millions de dollars sur son capital total. Car les investisseurs savent que les pigeons vont se faire plumer avec les commissions. Et Patreon a changé sa commission en passant à 2,9 % du montant + 0,35 dollars.

    La promesse de Patreon est qu’il récupère simplement 5 % plutôt que des 10 % auparavant. Et évidemment, tu vois l’arnaque ? Non,  pour quelqu’un qui se fait 1 000 dollars, cette répartion est tout bénéf, mais pour le mec qui survit avec des donateurs de 1 dollars, c’est catastrophique, car 1 dollar avec cette commission signifie que le créateur abandonne près de 0,36 dollars en commissions, soit il perd 30 % du montant qui va aller à Patreon. Pour les gros créateurs, l’impact est minime.

    Sur Tipeee, c’est encore pire, car la commission est de 8 % TTC. C’est bien plus cher que Patreon et dans le cas du pourcentage, les petits créateurs sont toujours les plus arnaqués. Et le pire est qu’il n’y a pas d’autres solutions. Aujourd’hui, ces plateformes prétendent que tu peux vivre avec, mais c’est totalement faux. A la limite, ça peut te donner quelques bonus pour acheter des épinards et le beurre, mais pour vivre, il faudra passer par autre chose.

    Mise à jour : Patreon a changé d’avis après le tollé. Pour le moment, il revient à l’ancienne commission, mais je peux vous garantir qu’il va remettre le couvercle dans le futur en catimini.

    Houssen Moshinaly

    Pour contacter personnellement le taulier :

    4 réponses

    1. Romain dit :

      Salut Houssen,

      J’ai bien lu ton article, c’est percutant et ça répond à mes doutes. Je souhaite aussi trouver une solution pour rémunérer ma production de contenu avec l’idée que les plus pauvres puissent accéder quand même à celui-ci (sinon c’est toujours le même cercle vicieux : les riches ont accès à tout ce qu’ils veulent et les pauvres s’endettent ou, la plupart du temps, restent dans l’ignorance). C’est-à-dire que les gens donneraient idéalement en fonction de leur moyen, rien ou presque pour les pauvres et plus pour les mieux aisés… Un humoriste comme Haroun propose ses spectacles de cette manière et j’avoue que j’apprécie beaucoup l’idée. Maintenant, sur la réalisation pratique, je ne sais pas ce que cela donne pour lui (qui a déjà l’appui de sa notoriété comme tu l’expliques dans l’article)… Ainsi, quand tu conclus qu’il faudra passer par autre chose que Tipeee ou Patreon, à quoi penses-tu ? Investir directement des plateformes comme Kickstarter ou Leetchi pour financer son contenu (au final, on s’en fout un peu de l’idée de base qui est de financer une “idée”, non ?) qui seraient juste un moyen de paiement en associant le lien URL pour chaque contenu créé ? Merci pour ton éclairage.
      PS : je souhaite vraiment que chacun puisse donner en fonction de ses moyens et ne pas pénaliser ceux qui n’ont pas grand chose par rapport à ceux qui ont beaucoup, comme c’est déjà le cas (presque) partout aujourd’hui !

    2. Mark dit :

      Réflexion intéressante… De mon coté je cherche un moyen de recevoir des dons, mais ensuite de garder une certaine forme de préservation d’identité pour le retrait de ces dons. Des solutions existent-elles pour cela ? Pour que je “retire” mes dons/contributions sur un compte en crypto par exemple ou d’utiliser un service qui ne vérifie pas l’identité des créateurs ?
      Merci !
      Mark

    3. jipe67 dit :

      Il y a une vingtaine d’années et l’avènement d’internet, étant musicien, j’ai commencé a dénoncer la paupérisation des artistes qui s’en suivraient du fait que l’accès à ton produit était trop facile d’accès et si bon marché (voir gratuit = piratage) et que l’activité musicale (mais artistique globalement à partir du moment où les autres supports artistique comme le livre ou le film arriveraient aussi à être streamer) s’en retrouverait largement appauvrit et c’est le cas aujourd’hui. J’ai eu l’occasion par exemple de “claquer ma diatribe” lors d’un débat public avec Fleur Péllerin alors ministre du numérique à l’époque mais qui en avait autant à “carrer” que j’aime la pêche à la mouche.
      La faute à tout le monde (le consommateur que nous sommes qui veut en profiter un max) et les artistes en tête qui n’ont jamais su défendre leur travail et constamment le dévaloriser attiré par les sirènes du succès prétextant qu’il fallait s’adapter au monde.
      Et cette logique commence même (avec le covid actuel) à rejoindre toutes les composantes de nos domaines économiques , les GAFAM sont en train d’écraser tout sur leur passage et vont nous rendre à l’état soviétique (plus qu’un producteur par secteur) pendant qu’eux passe au capitalisme 2.0 avec la complicité de nos dirigeants qui essaient tant bien que mal de rectifier le tir tardivement en négociant le couteau sous la gorge..
      Aujourd’hui la culture c’est gratuit sauf exception et projet viable souvent de bonnes bouses marketées et calibrées bien comme il faut, comme cela existait déjà avant mais généralisé aujourd’hui !
      C’est pour cela que je suis pessimiste pour la culture de demain, qui était déjà mal en point ces dernières années (et je précise toujours que je parle économiquement) et le covid est le coup de grâce pour bons nombres d’artistes.
      Et notre état français n’a jamais eu la volonté ou la compréhension d’agir pour améliorer les choses. Pour reprendre ton exemple de structure pyramidale façon anglosaxonnes la SACEM peut être mis dans le même sac et beaucoup de petits artistes autoproduits comme je l’ai été comprendront largement de quoi je parle..

      merci pour avis en tous les cas ca fait du bien la vraie liberté d’expression !

    4. Sara dit :

      Ton article est super intéressant et je t’en remercie. J’ai commencé à lancer tipeee en me demandant si je ne devais pas plutôt choisir Patreon, puis je suis tombé sur ton article et… La claque. Je n’aurais pas vu cela comme ça de moi-même car je ne prenais pas assez de recul.
      Alors c’est vrai que ça paraît difficile de vivre de notre activité sur internet car ce n’est pas comme se faire payer en main propre pour notre contenu ! Reste à trouver une solution qui fonctionne bien sur le long terme afin de bien en vivre !

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